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Bouddhisme chinois

Table des matières

Bouddhisme (Les grandes traditions)

Bouddhisme chinois

Le bouddhisme, du Petit et du Grand Véhicule, commence à être connu en Asie orientale à partir des Ier et IIe siècles de notre ère. Il pénètre jusqu’à la vallée du fleuve Jaune, en Chine du Nord, par la route des oasis qui relie la Transoxiane au Gansu, dans la péninsule indochinoise et dans la Chine du Sud par la voie des mers. Les conditions sociales, politiques et intellectuelles entre la fin des Han et le moment où se ferment les routes d’Asie centrale, vers la fin du VIIIe siècle, sont favorables à son implantation en Chine : des environs de 400 jusqu’au milieu du IXe siècle se situe une période de grande ferveur dont témoignent l’importance du monacat, des constructions, des sculptures, des traductions, des copies de textes sacrés, le nombre des pèlerinages de religieux chinois dans les pays bouddhisés ainsi que l’épanouissement des sectes et des écoles bouddhiques chinoises. Acclimaté dans le monde chinois, le bouddhisme marque de son empreinte tous les domaines : religion, philosophie, sciences, littérature, arts… Une réaction antibouddhique aboutit cependant à la grande proscription de 843-845 qui provoque la ruine de la plupart des grands centres de culture bouddhique, dont les traditions savantes ne seront maintenues vivantes qu’au Japon. À partir de cette époque, le bouddhisme perd en Chine l’essentiel de sa vigueur et de ses capacités créatrices. Mais il ne laisse pas d’avoir une grande importance dans la religion populaire, où il se mêle à des courants religieux purement chinois, dans les sociétés secrètes et les insurrections paysannes, ainsi que dans la pensée philosophique à l’époque des Song (XIe-XIIIe s.) et à la fin des Ming (XVIe-XVIIe s.). Les bouleversements politiques de la Chine contemporaine ont précipité son déclin.

Au cours des huit premiers siècles de l'ère chrétienne

Une représentation de Buddha Sakyamuni, datant de l'époque des Wei du Nord (386-534).

Le bouddhisme commence à se répandre hors de l’Inde à partir de l’ère chrétienne, des confins indo-iraniens aux oasis d’Asie centrale. C’est par cette voie et par les villes cosmopolites du Gansu (Dunhuang, Zhangye, Wuwei) qu’il gagnera la Chine des vallées de la Wei et du fleuve Jaune, où sa présence est attestée dès 65 après J.-C. D’autre part, les relations maritimes qui se développent entre l’océan Indien et l’Asie du Sud-Est, à partir du Ier siècle de notre ère, permettront aux influences bouddhiques de pénétrer par le sud dans les pays de civilisation chinoise (partie nord de l’actuel Vietnam, Guangdong et vallée du Yangzi). La diffusion du bouddhisme dans la plus grande partie de l’Asie apparaît donc liée aux transformations politiques qui se sont produites entre les débuts de l’ère chrétienne et le Xe siècle (expansions militaires vers l’Asie centrale des Han, des royaumes du Nord-Ouest chinois du IIIe au VIe siècle, des Tang enfin, et constitution de nouvelles unités politiques au nord-ouest de l’Inde : empires indo-scythe et kushan), ainsi qu’aux courants commerciaux qui se sont établis à travers l’Asie centrale et par la voie des mers.

Photo : Bezelik, Chine
Bezeklik, près de Turfan (ou Turpan, Xinjiang), ville située sur l'antique Route de la soie.

En raison de la multiplication des sectes bouddhiques en Inde même, des altérations subies par le bouddhisme au cours de son expansion hors de l’Inde (ces altérations intéressent aussi bien les doctrines que les cultes et l’art bouddhiques), en raison aussi de la diversité des lieux d’origine, les influences bouddhiques qui se sont fait sentir dans les pays de civilisation chinoise sont loin d’être uniformes : ce furent celles des bouddhismes indo-iranien, cachemirien, des oasis d’Asie centrale (Khotan, Kuchā, Turfān…), de l’Inde du Nord-Est, de Ceylan, de Sumatra…

L’histoire du bouddhisme en Chine peut être divisée en trois grandes périodes : les quatre premiers siècles de notre ère sont une époque de lente assimilation et d’adaptation du bouddhisme à une civilisation très différente, par son organisation sociale et politique comme par ses traditions et ses conceptions, de la civilisation où cette religion avait pris naissance ; la période du Ve au IXe siècle est marquée par une grande ferveur religieuse (c’est pendant cette période que le bouddhisme fait la conquête de la Corée et du Japon) ; les siècles suivants sont marqués en Chine par un recul et un déclin de l’influence bouddhique et, à partir de l’époque mongole, par l’expansion dans toute la zone des steppes du bouddhisme tibétain connu sous le nom de lamaïsme.

Des cénacles au peuple

Religion d’étrangers établis en Chine dans les centres commerciaux qui jalonnent les grandes routes (de la vallée de la Wei aux vallées moyenne et inférieure du Yangzi, et de Canton à la vallée de la Han), le bouddhisme attire d’abord l’attention des cénacles lettrés à un moment où se produit en Chine un regain de la pensée taoïste et des discussions philosophiques (« École des mystères », xuanxue, et « Conversations pures », qingtan) entre la fin du IIe siècle et le IVe siècle. L’influence bouddhique se fait d’abord sentir en effet dans les villes et en milieu aristocratique avant de pénétrer dans les campagnes. Par ses pratiques de méditation et de concentration mentale (les premiers textes traduits traitent justement de ces techniques), mais aussi par certaines de ses conceptions philosophiques, le bouddhisme paraissait présenter des analogies avec le taoïsme. Aussi est-ce dans le vocabulaire du taoïsme et, plus généralement, dans celui de la philosophie chinoise que sont traduits tout d’abord les termes étrangers, et ce n’est que progressivement que se révèleront les caractères originaux de la nouvelle religion.

L’accroissement du nombre des traductions, la constitution de communautés religieuses, l’intérêt porté au culte bouddhique par les pouvoirs publics d’origine non chinoise qui étaient établis en Chine du Nord, puis par les empereurs des dynasties du Sud à Nankin et la diffusion du bouddhisme en milieu populaire où il se substitue à d’anciennes pratiques et d’anciens cultes proprement chinois, tout cela devait transformer peu à peu la situation du bouddhisme en Chine. Aux environs de 400, il y est devenu une religion autonome : il a ses textes sacrés, ses pratiques, ses lieux de culte, ses communautés et ses règles monastiques, ses biens propres. Favorisé par les pouvoirs politiques, le bouddhisme affirme cependant son indépendance : les religieux ne sont soumis à la juridiction commune ni en matière de droit pénal, ni en matière d’obligations publiques (corvées et capitation). En outre, les biens de l’Église sont tenus pour inaliénables et protégés contre toute appropriation par des interdits d’ordre religieux. Ces privilèges impliquent en revanche, du point de vue du pouvoir laïc, le respect des règles monastiques (tonsure, célibat, observance des interdits) et la connaissance des rites et des textes sacrés. Tout en patronnant la nouvelle religion et en prenant l’initiative d’actes pieux (ordinations de religieux et fondations de lieux de culte), l’État s’est efforcé en Chine d’exercer un contrôle sur l’Église bouddhique. Aussi bien toute l’histoire du bouddhisme en Chine sera-t-elle dominée par le problème des relations entre l’Église et l’État.

Cléricalisme bouddhique

L’essor de la foi bouddhique a été si général et si puissant du Ve au VIIIe siècle que le phénomène a créé de nombreuses difficultés aux dirigeants. Le trop grand nombre des ordinations, souvent fictives et difficiles à contrôler, l’accroissement de la masse des paysans qui cherchaient la protection des monastères, l’accaparement des terres par suite des dons et des ventes simulées, les dépenses très considérables provoquées par les constructions, l’entretien des religieux et l’organisation des fêtes, la pénurie des métaux entraînée par les fontes de cloches et de statues, la puissance économique des monastères, propriétaires de moulins à eau, de pressoirs à huile, de vastes étendues de terres de montagne et de champs cultivés, le pouvoir occulte des moines en relation avec le gynécée impérial et l’aristocratie, profitant de complicités innombrables, les atteintes portées à la morale traditionnelle par la doctrine bouddhique, le caractère subversif de certaines sectes, tous ces méfaits dus à l’emprise de la nouvelle religion ont été dénoncés périodiquement par les fonctionnaires les plus conscients des intérêts de l’État. Mais les mesures de répression ne semblent pas avoir été très efficaces avant la grande proscription des années 843-845 qui marque la fin de la période de grande ferveur. En effet, après les mesures de laïcisation et de confiscation des biens de l’Église qui furent prises à cette époque et que les changements politiques du VIIIe siècle avaient rendues possibles, le bouddhisme se survit en Chine : il a perdu l’essentiel de sa vigueur et de ses aptitudes créatrices.

Les pèlerinages

L'apogée du bouddhisme chinois sous les Tang (618-907) est marquée par l'œuvre de compilation
et de traduction du moine Xuanzang, représenté symboliquement sur cette estampe.

Le désir de se procurer des textes sacrés, celui de s’instruire auprès des maîtres étrangers, cachemiriens et indiens principalement, et enfin l’intérêt porté aux lieux saints du bouddhisme furent à l’origine d’un vaste mouvement de pèlerinages de Chine vers l’Asie centrale et vers l’Inde. Commencé dès la fin du IIIe siècle, il s’amplifie à partir de 400. Le premier pèlerin illustre pour avoir laissé une relation détaillée de son voyage est Faxian.

Faxian fit route par les oasis du Xinjiang, visita l’Inde centrale, le Bengale et Ceylan, et rentra en Chine par la voie des mers. Parmi les autres pèlerins célèbres, citons le laïc Song Yun, chargé par une impératrice des Wei du Nord d’une mission auprès des chefs de royaumes indiens au début du VIe siècle, mais surtout Xuanzang (602-664) et Yijing (635-713). Le premier part pour l’Inde en 629 en passant par les oasis du Gansu et du Xinjiang (Dunhuang, Turfān, Karashar et Kuchā), traverse la Sogdiane, la Bactriane et le bassin de l’Indus. Il passe une douzaine d’années à parcourir l’ensemble de la péninsule indienne et rentre par les oasis du sud du Xinjiang (Kashgar, Yarkand, Khotan, Niya). Il est de retour à Chang’an (l’actuelle Xi’an) en 647, ramenant avec lui 657 ouvrages bouddhiques indiens. Deux documents importants ont été laissés de ce voyage : le Mémoire sur les contrées occidentales (Xiyuji), rédigé par un des disciples de Xuanzang en 646 et une longue biographie du maître achevée en 688. La route du Sud, par les océans, est décrite avec précision par Yijing, qui s’embarque à Canton en 671, passe par Palembang, sur les côtes sud-est de Sumatra, débarque dans le golfe du Bengale, gagne les lieux saints, quitte enfin l’Inde en 685 et réside plusieurs années dans le grand centre bouddhique de Palembang. C’est là qu’il compose deux célèbres ouvrages historiques (la Relation sur le bouddhisme envoyée des mers du Sud et la Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées occidentales) dont les manuscrits furent envoyés en Chine en 692.

Les voyages à l’intérieur de l’Asie deviennent plus difficiles à partir du moment où la Chine perd le contrôle des oasis du Xinjiang à la fin du VIIIe siècle et les pèlerinages sont de plus en plus rares après la répression des années 843-845 qui entraîne la ruine des grandes communautés bouddhiques de l’époque Tang. Le dernier pèlerinage important a lieu en 966.

Les textes bouddhiques en chinois

La presque totalité des traductions de textes bouddhiques en chinois date de la période comprise entre le IIe et le XIe siècle. Ces textes, au nombre de 1 692 – sūtra (sermons qui sont censés avoir été prononcés par le Buddha), traités de métaphysique, traités de discipline, commentaires de maîtres bouddhiques –, couvrent l’ensemble du bouddhisme indien et en constituent la source écrite la plus étendue (nombre d’originaux indiens n’ont été conservés que dans leurs traductions chinoises).

Ce n’est cependant que par étapes que se sont perfectionnées les méthodes de traduction. Les premiers textes traduits, où abondent les termes du vocabulaire taoïste, sont le plus souvent obscurs et d’interprétation difficile. Parmi les traducteurs célèbres de cette première période (IIe-IVe s.), on peut mentionner le prince parthe An Shigao qui travailla à Luoyang de 147 à 170 et le moine indo-scythe de Dunhuang, Dharmarakṣa (en chinois Zhu Fahu), en Chine du Nord de 265 à 313. Un net progrès se produit au début du Ve siècle, au moment où les traducteurs étrangers commencent à être aidés par des rédacteurs chinois vraiment cultivés. C’est de cette époque que datent en Chine du Nord les grandes traductions de Kumārajīva (344-413), Indien de Kuchā, et celles de Buddhabhadra (359-429), Indien d’Afghanistan. Au VIe siècle, un autre traducteur célèbre est Paramārtha (550-569), originaire de l’Inde centrale, qui arrive en Chine du Sud en 546, venant du Cambodge méridional. Les traductions atteignent leur plus haut degré de perfection et d’exactitude à la fin du VIIe siècle et au début du VIIIe siècle avec Xuanzang (602-664) et Yijing (635-713). Le premier était un éminent sanskritiste, rompu à la métaphysique bouddhique. C’est à ce moment que sont constituées les grandes équipes de traduction formées de membres spécialisés dans diverses tâches et qu’est fixé ne varietur un vocabulaire technique permettant de traduire les textes les plus difficiles de la philosophie bouddhique.

Mais la production bouddhique en chinois est loin de se limiter à ces traductions déjà si nombreuses et si étendues : le canon bouddhique chinois compte également nombre d’ouvrages rédigés par des Chinois. Ce sont des biographies de moines éminents, des récits et notes de pèlerinage, des bibliographies du bouddhisme, des commentaires de maîtres bouddhiques, des glossaires, des sūtra apocryphes… À partir de la diffusion de l’imprimerie, au Xe siècle, plusieurs éditions de ce canon bouddhique ont vu le jour en Chine, en Corée et au Japon. La dernière en date, qui est parue à Tōkyō entre 1924 et 1929 (Taishō issaikō), compte près de 40 millions de caractères chinois, l’équivalent de 40 millions de mots français.

Les textes bouddhiques en chinois

La presque totalité des traductions de textes bouddhiques en chinois date de la période comprise entre le IIe et le XIe siècle. Ces textes, au nombre de 1 692 – sūtra (sermons qui sont censés avoir été prononcés par le Buddha), traités de métaphysique, traités de discipline, commentaires de maîtres bouddhiques –, couvrent l’ensemble du bouddhisme indien et en constituent la source écrite la plus étendue (nombre d’originaux indiens n’ont été conservés que dans leurs traductions chinoises).

Ce n’est cependant que par étapes que se sont perfectionnées les méthodes de traduction. Les premiers textes traduits, où abondent les termes du vocabulaire taoïste, sont le plus souvent obscurs et d’interprétation difficile. Parmi les traducteurs célèbres de cette première période (IIe-IVe s.), on peut mentionner le prince parthe An Shigao qui travailla à Luoyang de 147 à 170 et le moine indo-scythe de Dunhuang, Dharmarakṣa (en chinois Zhu Fahu), en Chine du Nord de 265 à 313. Un net progrès se produit au début du Ve siècle, au moment où les traducteurs étrangers commencent à être aidés par des rédacteurs chinois vraiment cultivés. C’est de cette époque que datent en Chine du Nord les grandes traductions de Kumārajīva (344-413), Indien de Kuchā, et celles de Buddhabhadra (359-429), Indien d’Afghanistan. Au VIe siècle, un autre traducteur célèbre est Paramārtha (550-569), originaire de l’Inde centrale, qui arrive en Chine du Sud en 546, venant du Cambodge méridional. Les traductions atteignent leur plus haut degré de perfection et d’exactitude à la fin du VIIe siècle et au début du VIIIe siècle avec Xuanzang (602-664) et Yijing (635-713). Le premier était un éminent sanskritiste, rompu à la métaphysique bouddhique. C’est à ce moment que sont constituées les grandes équipes de traduction formées de membres spécialisés dans diverses tâches et qu’est fixé ne varietur un vocabulaire technique permettant de traduire les textes les plus difficiles de la philosophie bouddhique.

Mais la production bouddhique en chinois est loin de se limiter à ces traductions déjà si nombreuses et si étendues : le canon bouddhique chinois compte également nombre d’ouvrages rédigés par des Chinois. Ce sont des biographies de moines éminents, des récits et notes de pèlerinage, des bibliographies du bouddhisme, des commentaires de maîtres bouddhiques, des glossaires, des sūtra apocryphes… À partir de la diffusion de l’imprimerie, au Xe siècle, plusieurs éditions de ce canon bouddhique ont vu le jour en Chine, en Corée et au Japon. La dernière en date, qui est parue à Tōkyō entre 1924 et 1929 (Taishō issaikō), compte près de 40 millions de caractères chinois, l’équivalent de 40 millions de mots français.

Les sectes bouddhiques

La diversité des courants bouddhiques à partir du IIe siècle, le prestige de certains centres étrangers (ainsi, les écoles cachemiriennes dans la première moitié du Ve siècle, l’université bouddhique de Nālandā au Bengale au VIIIe siècle) et les tendances propres aux différents milieux de la société chinoise sont à l’origine de la formation de différentes écoles et sectes bouddhiques en Chine à partir des environs de 400.

Écoles et sectes

On doit distinguer les écoles savantes qui se constituent dans certains centres monacaux et les sectes qui ont une plus ou moins large audience dans les milieux lettrés ou populaires. Les premières sont directement influencées par la philosophie bouddhique indienne : c’est le cas de l’école idéaliste Vijnānavāda (en chinois faxiang) que fit connaître à Chang’an le grand maître Xuanzang à son retour des Indes, et dont la thèse fondamentale est que tous les phénomènes sont pure création de l’esprit ; c’est le cas également de l’école Mādhyamikā (ou du Chemin moyen) qui affirmait tout ensemble la vacuité absolue et la réalité relative des choses. Certains religieux spécialistes de l’Abhidharmakoça, vaste traité de scolastique bouddhique d’origine cachemirienne, ou spécialistes des traités de discipline monacale (Vinaya) ont été également considérés comme appartenant à des écoles particulières. En outre, le bouddhisme mystique et magique du Tantra (en chinois mijiao), très en vogue au Bengale au VIIIe siècle, fut répandu dans les milieux de la cour des Tang, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, par le moine indien Amoghavajra (Bukong). Cette forme magique du bouddhisme devait pénétrer plus tard au Tibet et y jouer un rôle déterminant dans la formation du lamaïsme.

Le Buddha rédempteur des enfers, adoré au Japon sous le nom de Jizo.
Statue en bois, Japon, époque Heian (794-1185). Victoria and Albert Museum, Londres.

Mais ces écoles savantes ne peuvent être considérées comme des sectes en raison de l’audience très limitée qu’elles ont eue. Les grandes sectes bouddhiques chinoises apparaissent, au contraire de ces écoles, en rapport avec des cultes importants et de grandes figures du bouddhisme du Grand Véhicule : Mile (Maitreya), le Buddha de l’avenir dont la venue doit amener dans ce monde la Grande Paix (Taiping) ; Amito (Amitābha), le Buddha d’infinie lumière ou d’âge infini qui règne sur le paradis d’Occident et dont le symétrique, situé à l’est, est Dizang (Kṣitigarbha), Buddha rédempteur des enfers, qui a connu une fortune immense au Japon où il est connu sous le nom de Jizō ; il est adoré aussi en Chine au mont Jiuhuashan, au Anhui. Ce sont aussi les Bodhisattva (pusa) Wenshushili (Manjuçrī), dont les apparitions sont censées se produire aux Wutaishan, montagnes du nord-est du Shanxi ; Puxian (Samantabhadra), qui se manifeste sur le mont Emei, au Sichuan ; Guanyin (Avalokiteçvara), la Kannon japonaise, Bodhisattva sauveur et compatissant conçu en Chine sous des apparences féminines et adoré en particulier dans l’île de Putochan, sur les côtes nord-est du Zhejiang ; Weimojie enfin (Vimalakīrti), le saint laïc du célèbre Weimojing (Vimalakīrtinirdeça).

Sectes et textes sacrés

Des textes sacrés du bouddhisme, les Chinois n’ont retenu qu’un petit nombre (et parfois certains chapitres de sūtra) dont le succès a été immense : Lotus de la Vraie Loi (Fahuajing, en sanskrit Saddharmapundarīka), Jingangjing (Vajracchedikā, sūtra de la Sapience de diamant), Banroxinjing (Prajnāpāramitāhrdaya), sūtra de Vimalakīrti, sūtra d’Amitābha… Certains apocryphes ont connu un très large succès. C’est par l’importance attachée à tel ou tel texte célèbre que se distinguent les grandes sectes bouddhiques chinoises.

Les deux plus importantes sont celles de la Terre pure et du chan. La première (Jingtujiao) a pour texte fondamental le Wuliangshoujing (Sukhāvatīvyuha), qui a trait au Buddha de l’Ouest Amitābha et à son paradis. Cette secte, dont les origines remontent au grand moine Huiyuan (344-416), affirme que la foi et les prières, et surtout l’invocation inlassable du nom d’Amitābha (Amitofo), suffisent pour renaître dans son paradis.

La secte du chan (transcription du sanskrit dhyâna ; zen en japonais) est rattachée au personnage légendaire de Bodhidharma (déb. du VIe s.). Très chinoise en fait et taoïsante, cette secte estime que les textes et les actes pieux sont inutiles et ne constituent en réalité que de simples moyens qui doivent mener à l’illumination, c’est-à-dire à l’appréhension dans une intuition immédiate de la nature de Buddha qui est en chacun de nous. C’est l’activité de l’esprit qui fait obstacle à cette illumination et il faut donc parvenir à l’absence totale de toute pensée (wu xin). Au sein de l’école du chan, deux tendances se sont cependant affirmées, l’une d’après laquelle l’illumination ne peut être atteinte que de façon graduelle (jian), à l’aide d’exercices, l’autre qui croit à une illumination subite (dun). Certains procédés originaux de psychothérapie ont été employés par la secte : longue mise à l’épreuve de l’adepte, coups de bâton, cris, réponses absurdes, méditations sur des devinettes apparemment insolubles (gong’an). L’insistance mise par le chan sur la spontanéité explique son succès chez les esthètes et les lettrés taoïsants. Le chan apparaît comme une réaction typiquement chinoise aux raffinements scolastiques et à la verbosité indiennes.

La secte Tiantai (Tendai japonais) doit son nom à une montagne du nord-est du Zhejiang où elle fut fondée par le moine Zhiyi (533-597). Secte éclectique en matière de textes sacrés, elle a eu plus de succès dans les milieux monacaux que chez les laïcs. La thèse fondamentale de la secte est que les différents ensembles de sūtra prêchés par le Buddha s’ordonnent chronologiquement et correspondent à des types d’auditeurs différents, plus ou moins avancés sur la voie de la compréhension des vérités bouddhiques. Le texte de base est le Lotus de la Vraie Loi.

Une autre secte monacale importante est celle de l’Ornementation, dont le fondateur fut Xianshu (643-712) et le texte de prédilection le sūtra de l’Ornementation (Huayanjing, Avatamsaka).

Un exemple enfin de secte millénariste peut être fourni par la secte du Troisième Degré (sanjie jiao), fondée par Xinxing (540-594). Elle eut un immense succès dans la vallée de la Wei et à Luoyang au VIIe siècle. D’après son enseignement, on en était arrivé à la dernière des trois périodes de la loi bouddhique, celle de sa décadence finale. D’où l’urgence de la contrition, des œuvres pieuses et des dons aux êtres. Devenue riche et puissante grâce à l’institution de « Trésors inépuisables » qui permettaient la fructification des biens donnés en offrande par les fidèles, elle fut l’objet d’interdictions répétées des pouvoirs publics.

Bouddhisme et civilisation chinoise

La pénétration et le triomphe du bouddhisme entre le IVe et le Xe siècle ont eu en Chine des effets profonds qui intéressent tous les secteurs de l’activité humaine et de la pensée. Le bouddhisme introduit en Chine la notion de rétribution et la croyance aux renaissances animales, la foi dans les vertus éminentes du don et de la compassion, la croyance aux effets magiques de la répétition orale, écrite et figurée, des vœux, des formules, des textes et des images, l’idée de la multiplicité infinie des temps et des espaces, le goût, étranger à la tradition chinoise, de l’ornementation, du luxe et du grandiose. Les communautés bouddhiques apportent en Chine des pratiques financières d’origine indienne (prêt sur gage, vente aux enchères, loterie) et y développent des institutions de secours social (dispensaires, hôpitaux, hospices, cimetières pour les pauvres, distribution de secours aux nécessiteux, rôle hôtelier des monastères dans les régions de pèlerinage, construction de routes, ponts, écoles…). Des éléments de la médecine indienne pénètrent ainsi en Chine.

L’influence du bouddhisme s’est fait également sentir dans le domaine littéraire, qui s’est à la fois enrichi d’innombrables thèmes d’origine bouddhique et de nouvelles formes. Les saynètes mimées et accompagnées d’illustrations figurées qui sont connues sous le nom de bianwen comportent une alternance de récitatifs et de chants qui sera caractéristique du théâtre chinois. L’usage de la langue parlée dans les prêches vulgaires (sujiang) et dans les conversations de maîtres bouddhiques (yulu) constitue une autre innovation.

Enfin, il est probable que la science phonétique chinoise est née, au Ve siècle, des problèmes que posait la transcription des termes indiens et des formules magiques (mantra et dhāranī).

Mais c’est surtout le domaine des arts (musique, sculpture, architecture, peinture) qui a été profondément renouvelé par les apports des pays bouddhisés de l’Asie centrale et des confins indo-iraniens. La tour-reliquaire à étages, seul type de construction en hauteur en Chine, l’emploi de la pierre, la grotte bouddhique, la fresque murale témoignent tous de ces influences.

La foi bouddhique est à l’origine d’une immense floraison artistique qui atteint son apogée entre la fin du Ve et la fin du VIIe siècle. C’est à cette époque que sont creusés dans toute la Chine du Nord de nombreux sanctuaires rupestres dont les statues, souvent colossales, sont taillées à même le roc. Rappelons seulement les deux sites célèbres de Yungang (fin du Ve s.), près de Dadong dans le nord du Shanxi, et de Longmen, près de Luoyang au Henan, dont les sculptures datent des VIe et VIIe siècles.

Après le IXe siècle

La fermeture des routes d’Asie centrale, contrôlées d’est en ouest par les Ouigours, les Tibétains et les Arabes après le milieu du VIIIe siècle, la réaction nationale et antibouddhique qui s’amorce avec Han Yu (768-824) et enfin la proscription des religions étrangères qui intervient entre 842 et 845 portent un coup sévère à l’essor du bouddhisme en Chine. Nombre de chefs-d’œuvre de l’art bouddhique sont détruits à ce moment ; les communautés religieuses, si riches et si actives au VIIIe siècle, sont dispersées et ruinées ; la plupart des sectes, et en premier lieu les plus savantes et les plus lettrées, ne résistent pas à l’épreuve. Enfin, le syncrétisme entre bouddhisme et autres courants religieux fera dès lors de grands progrès dans les milieux populaires. Des sectes millénaristes, souvent animées par la croyance à la venue de Maitreya (secte du Nuage blanc et surtout secte du Lotus blanc), inspireront des mouvements d’insurrection importants depuis la fin de l’époque mongole au XIVe siècle jusqu’au début du XIXe siècle.

Mais l’influence du bouddhisme ne cessera pas pour autant de se faire sentir dans la vie intellectuelle chinoise. Le mouvement réformiste néo-confucéen des XIe-XIIe siècles est profondément influencé, sans que ses promoteurs en aient une claire conscience, par la philosophie bouddhique, qui a ainsi marqué de son sceau toute la pensée orthodoxe chinoise entre les Song et la fin de la dynastie mandchoue. D’autre part, les grandes œuvres de la littérature bouddhique telles que le Lotus de la Vraie Loi et les traditions taoïsantes de la secte chan – la seule qui ait conservé depuis les Song (XIe-XIIe s.) une certaine vitalité – ont inspiré les critiques littéraires et les penseurs de la fin des Ming. Il y a même eu un renouveau du bouddhisme dans la Chine des années 1920-1949.

Les transformations contemporaines sont en train de porter le dernier coup à une religion qui était déjà moribonde en Chine, mais qui reste toujours vivante au Japon. Les activités de l’Association bouddhique chinoise, créée en 1953 par la république populaire de Chine, se bornent essentiellement à la restauration et à la conservation des monuments religieux qui font partie du patrimoine national, et les tendances actuelles conduisent à une disparition totale des communautés, des pratiques et des conceptions bouddhiques. On note cependant un peu plus de tolérance à l’égard des pratiques individuelles depuis la liquidation des séquelles de la révolution culturelle.

— Jacques GERNET, Catherine MEUWESE

SOURCES

Jacques GERNET, Catherine MEUWESE, « BOUDDHISME (Les grandes traditions) – Bouddhisme chinois », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 novembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/bouddhisme-les-grandes-traditions -bouddhisme-chinois/

BIBLIOGRAPHIE

※ Ouvrages généraux
K. S. CH’EN, Buddhism in China : a Historical Survey, Princeton (N.J.), 1964 D. IKEDA, Le Bouddhisme en Chine, trad. de l’angl., Le Rocher, 1986

H. MASPERO, « La Religion chinoise dans son développement historique » et
« Comment le bouddhisme s’est introduit en Chine », in Mélanges posthumes sur les religions et l’histoire de la Chine, t. I, Paris, 1950

« Présence du bouddhisme », in France-Asie, no spéc., Saigon, 1959